ENTRETIEN - Soizic Kerihuel, la forme de la couleur.
- Colin GAZEAU
- 7 janv. 2020
- 5 min de lecture

Soizic Kerihuel dans son atelier (photo Instagram du 11/02/2019)
Originaire de Lorient, Soizic Kerihuel est une artiste-peintre qui aime mêler formes et couleurs dans ses œuvres. Envieuse de découvrir d'autres paysages, d’autres personnes, c’est en faisant des saisons à droite, à gauche, après des études de communication, qu’elle découvre sa véritable passion pour la peinture. Devenu éprise de création, elle se lance en 2009 dans une formation de peintre en décoration à Angers. Trop exécutif à son goût, elle ne trouve pas le moyen d’y exprimer sa créativité. En 2012, elle débarque à Nantes, ville qu’elle considère plus culturelle et dynamique. Elle monte, avec une bande d’artistes en tout genre, une association libre et indépendante pour louer un terrain à Trentemoult. De ce jour naît "Le Hangar du Pendule" dont elle est aujourd’hui la présidente. Dans son atelier, Soizic Kerihuel peut désormais exprimer sa créativité et sa passion. Ce qu’elle y fait depuis sept ans.
C. Depuis combien de temps l’expression artistique t’intéresse véritablement ?
“Depuis que je suis rentré en formation en 2009. Ça m’a appris les bases de la peinture et ses techniques. Et puis j’avais eu deux stages dans la formation, et je les orientais avec des artistes-peintres. Mon premier stage avec Catherine Raoulas, qui a son atelier à Lorient, et le deuxième avec le chef du service décoration de la mairie d’Angers. Suite à ce stage réussi, la mairie d’Angers a ouvert un contrat aidé pour moi, de 25 heures. J’avais une semaine où je bossais au service de la déco et l’autre où je bossais mes créations. J’ai commencé la peinture comme ça en fait. Et aujourd’hui j’adore toujours autant. Quand je pars en vacances et que je reviens à l’atelier, j’ai vraiment envie de peindre. C’est comme un manque”
C. Comment tu exprimes ton art ?
“J’ai plusieurs facettes dans mon art. Il y a la facette abstraite, où j’ai besoin d’exprimer mes émotions, mes sentiments, des réactions par rapport à des événements de vie privée ou de société qui me touche. J’utilise beaucoup les couleurs avec un peu de noir et de blanc et souvent sur grand format. Et il y a mon côté plus figuratif, pour les moments où j’ai besoin de me poser, de pas trop réfléchir. Comme avec les petits personnages que je crée, que j’appelle les "Petits Cubiques". Sinon, il y a les gravures et les linogravures, où je fais des petits dos de femmes. Sinon, avec certains de l’atelier, on a fait des collaborations. Ça m’est arrivé de faire de la lithographie et de la sérigraphie par exemple.”

Les "Petits Cubiques", Soizic Kerihuel
C. Sur quels types de supports tu pratiques ton art ?
“J’ai commencé par de la toile classique sur châssis. Et puis, un jour, mon père qui avait quelques draps familiaux, me les a donnés en me disant : "tu en feras des torchons pour ton atelier". C’était des draps en lin, de très bonne qualité, et du coup, j’ai décidé de les utiliser pour en faire de la toile. Depuis, le drap, c’est mon support de prédilection. J’aime beaucoup les présenter en mode "kakemono" japonais. Sinon j’utilise le bois que j’aime beaucoup. Ça glisse, c’est vraiment encore autre chose. Je récupère des anciens châssis aussi. Mais j’aime bien aussi récupérer certains autres objets ou supports. Genre les "Petits Cubiques", c’est très facile de les décliner sur différentes matières. C’est comme donner une seconde vie à quelque chose qui à la base est insignifiant, mais qui a un style particulier. Ça permet de valoriser l’objet. Pour récupérer ces matériaux, je vois avec les personnes de l’atelier ce qu’ils ont ou je vais fouiller dans les ressourceries.”
C. Est-ce que tu as des références dans la peinture ?
“Oui ! Alors, je sais pas pourquoi, mais il y a Mondrian. Parce que j’aime bien le fait qu’il travaille qu’avec les couleurs primaires et les formes géométriques. C’est quelque chose qui est très rapidement ressorti dans mes peintures. Sinon il y a Pollock, au niveau du "dripping", la projection de peinture. J’en fais beaucoup, parce que c’est très gestuel. C’est vraiment libérateur (elle imite le geste). Tu lances la peinture, c’est une forme de liberté, ça fait du bien. Sinon, je me renseigne sur les différents grands artistes, d’avant et de maintenant, mais j’essaye de garder aussi ma créativité et de pas être trop inspirée par ce qui a été fait. J’essaye de garder au maximum ma spontanéité, ma créativité.”
C. Comment tu as trouvé ton propre style ?
“C’est à force de travailler. Au départ, quand j’ai commencé à Angers, j’avais envie de toucher à plein de trucs et plein de techniques différentes. Quand je faisais des tableaux, on pensait pas que c’était la même personne. C’était très différent. Mais j’avais vraiment besoin d’explorer plein de choses. Aujourd’hui, j’ai toujours ce besoin-là, mais avec le temps et le travail, et puis avec les nouvelles techniques que tu utilises, tu te familiarises. J’aime beaucoup travailler avec la pastel, les encres, l’acrylique. Il y a des techniques avec lesquelles tu préfères travailler parce que tu te sens plus libre. Et en plus, ton style évolue sans cesse. Je dirais pas que c’est une amélioration, mais une évolution. De mes premiers tableaux jusqu’à maintenant, tu reconnais un fil conducteur.”
C. On remarque beaucoup de couleurs dans tes oeuvres, est-ce que tu peux nous en parler ?
“J’aime bien superposer les couleurs. Je trouve que ça donne d’autres choses dont on imagine pas les effets ou les résultats. Je suis toujours étonnée des fois quand je superpose certaines couleurs ou différentes techniques et j’aime bien ce que ça donne, parce que je l’avais pas forcément imaginé. Mais ça, c’est sûrement dû au fait que j’ai une peinture spontanée et intuitive. Et du coup j’arrive pas à les reproduire, je sais plus dans quel ordre je l’ai fait, parce que j’étais tellement dans mon truc. Mais c’est ça que j’aime bien (sourire). Pour résumer, je pars d’une base très colorée, qui part un peu dans tous les sens. Et après je recentre mon tableau avec des traits blancs et noirs. Pour moi, ça me permet de le rééquilibrer les couleurs que j’ai mis en fond. Et ça m’arrive de travailler avec la pastel ou des encres sur la superposition”
C. Comment tu procèdes pour créer une peinture ?
“Je commence par poser quelques couleurs. Je travaille beaucoup en superposition de peinture, donc je suis vite bloquée. C’est vraiment très lent, je pose deux-trois couleurs, il faut que j’attende que ça sèche. Et dès que c’est sec, je repars sur une autre gestuelle, une autre couleur. Quand j’ai une idée qui vient, faut que je me dise "faut pas que j’oublie pour demain parce que là, je peux pas le faire, faut que j’attende que ça sèche !". Du coup, j’en fais plusieurs en même temps.”


C. Comment tu exposes tes œuvres et dans quels lieux ?
“Grâce au "Hangar du Pendule", on a mis en place des portes ouvertes tous les deux mois, en fin de semaine. Parce qu’on avait une demande du public, comme à Trentemoult c’est assez touristique, les gens viennent nous voir. Sauf que nous, on ne pouvait plus accueillir du public comme ça en semaine, on perdait du temps. A l’occasion, chaque personne dans son atelier présente leurs dernières créations. En ce moment, on prépare le Salon des Métiers d’Arts pour ce week-end de décembre. Il y a les Flâneries de Noël, c’est un parcours à Trentemoult pour les créateurs durant les fêtes de fin d’année. On organise aussi une "vraie fausse vente aux enchères". L’idée c’est de présenter nos œuvres et de les vendre. Puis tous les sous seront reversés à l’association. Moi, j’ai exposé au Lieu Unique pendant cet été et aux Machines de l’Île. Je suis allée exposer à Paris chez une caviste. J’ai bien envie d’exposer dans des galeries, mais j’ai un peu peur, parce que les gens se disent souvent que c’est réservé à une élite et moi j’aime bien que ma peinture reste accessible à tout le monde. Je suis plus attirée à exposer dans des endroits un peu atypiques qui ne sont pas forcément destinés à des expositions de peinture.”
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