ENTRETIEN - David Martineau ou rendre la culture le plus accessible.
- Colin GAZEAU
- 29 janv. 2020
- 7 min de lecture

A Nantes, la culture est un sujet qui a de l'importance - Éléphant mécanique des Machines de l'Île - Jean-Pierre Dalbéra
Depuis 2014, David Martineau est adjoint à la culture pour Johanna Rolland (PS). Dans cet entretien, il revient sur la culture en général, son histoire au sein de la ville de Nantes et ce que propose la liste Nantes en confiance de la maire sortante pour le mandat 2020-2026.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, qu’est-ce que c’est la culture pour vous ?
David Martineau : Pour moi, la culture c’est d’abord quelque chose qui permet de faire société. C’est quelque chose qui est, et qui doit être, le contraire de la culture qui ne se transmettrait que de génération en génération. C’est la capacité à s’ouvrir pour aborder un monde nouveau face à soi. C’est la capacité à s’ouvrir à différentes formes dont l'esthétique, l’émotion, la beauté mais dont aussi le débat public, donc quelque fois la polémique, de se forger un goût, une personnalité ou une capacité à faire ses propres choix. C’est aussi, donner une place à l’artiste dans la société. Considérer que l’artiste n’est pas simplement là comme un amuseur, ou un supplément d’âme mais que les artistes sont parfois ceux, qui saisissent des changements, qui permettent d’ouvrir des champs que le commun des mortels ne pourraient pas ouvrir. Ce sont des éveilleurs d’âmes selon moi.
On sait que la culture à Nantes a beaucoup d’importance …
D’abord, la culture à Nantes c’est un pari. Un pari que fait Jean-Marc Ayrault en 1989 quand il arrive à la tête de la ville. Ce pari c’est de dire que dans une ville de province, qui connaît de fortes difficultés économiques, puisqu’on est en pleine crise industrielle autour de la fermeture des chantiers Dubigeon et des chantiers navals : “on a une carte à jouer”. C’est de permettre à cette ville de s’éveiller en allant chercher un positionnement stratégique audacieux, en mettant la culture au coeur des politiques publiques. Pour permettre le rayonnement de la ville à l’extérieur, en faisant de Nantes une ville qui bouge. Mais avant tout, ce sont les forces vives de la ville qui se sont réveillées. Cette ville a une singularité, qui a eu des périodes culturelles fastes, et mettre la culture au centre a été le meilleur moyen de révéler le territoire. C’est comme ça que se révèle les idées et les énergies nouvelles.
Comment s’est construit cette confiance en la culture à Nantes. Grâce à vous ?
Moi, j’arrive en 2014, après vingt-cinq ans de politique culturelle qui a été mené sans relâche et sans jamais fléchir. Pour moi, entre 1989 et 2014, on peut distinguer trois grandes périodes. La première, c’est celle du réveil, au début des années 90. C’est le moment du choix d’aller chercher à révéler cette ville autour d’une programmation ambitieuse, non “mainstream”. On programme dans des lieux qui sortent des sentiers battus : dans des espaces publics, dans des friches industrielles, chez l’habitant. Tout cela pour rendre la culture accessible à tous. Et on cherche à travers ces événements audacieux à mettre, dès le départ, l’habitant au centre. La deuxième période, elle arrive une dizaine d’années après. C’est celle des équipements. Parce que l’appétit de culture s’étant réveillé, la jeunesse a envie de pratiquer la culture. Vont se créer le Lieu Unique, le Stereolux, Trempolino, toutes les grandes institutions nantaises. On est aujourd’hui dans une situation différente que celle qu’a connu Jean-Marc Ayrault pendant ses mandats. La troisième période, c’est celle où l’on a un public constitué, des citoyens fiers de cette politique culturelle et on a des équipements de très bon niveau. Et conséquence de tout ça, on a une véritable scène culturelle qui se constitue. Une scène culturelle qui, aujourd’hui, compte.
Il y a donc eu énormément de travail de la part de la ville de Nantes au niveau de sa politique culturelle. Quel est votre rôle la-dedans ?
Aujourd’hui, mon rôle est différent. Je me demande comment à la fois, dans le quotidien, les politiques culturelles doivent permettre, dans un premier temps, aux artistes de trouver des débouchés, les moyens de travailler qui leur permettent de poursuivre leurs activités. On a un dispositif à la ville qui démarre depuis quelques mois, qui s’appelle “Connivence” par exemple. Quatorze institutions, bientôt une vingtaine, s’engagent à s’installer durablement dans un quartier, pour amener leur ingénierie et leurs capacités à produire des projets complexes pour la mettre à disposition des acteurs de quartiers. Et dans un deuxième temps, se pose la question durant ce mandat de l’accès à tous à la culture. La démocratisation culturelle est un combat qui n’est pas gagné, même à Nantes. Le mandat de 2014 est marqué par la volonté de ne pas baisser les bras sur cette question de la démocratisation culturelle et d’essayer de trouver toutes les formes possibles qui permettent de renverser le paradigme pour que la culture tombe sur la tête des gens. Mais surtout que la culture soit plus accessible, qu’elle soit la plus naturelle possible et que les portes symboliques s’ouvrent et que tout à chacun se sente bienvenue dans la culture. Le gros du travail durant mon mandat 2014-2020, c’était de travailler sur tous les moyens de médiation, l’offre culturelle, de façon à ce que les nantais et les nantaises se sentent fiers de cette stratégie. C’était donc le gros objectif de ce mandat que de diffuser, d’infuser la culture chez tous les nantais et dans tous les quartiers.
Est-ce que vous vous êtes intéressé aux programmes des autres partis sur la culture ?
Il n’y a pas eu clairement de présentation de projets culturels complets. Ce que je sais en tout cas, mais c’est mon sentiment personnel, il y a des façons assez différentes de faire de la culture. C’est important d’en avoir conscience, je trouve. D’un côté, on a des partis d’extrême-droite, qui ont une vision rétrograde et patrimoniale de la culture. Finalement, la confrontation à la culture des autres, aux nouveautés sociétales passe très difficilement. D’autres cherchent aujourd’hui, à opposer les “gros” et les “petits”. Les grosses institutions et les petits projets. Pour moi, les grosses institutions doivent, certes donner l’exemple, mais elles doivent s’ouvrir à des plus petits acteurs culturels. C’est la réunion de l’un et de l’autre qui permettent de mener des projets de qualité qui soient ambitieux. Tout cela pour éviter qu’il y ait des propositions de première division et des propositions de deuxième division.
Que propose la liste de Johanna Rolland en matière de culture pour le prochain mandat ?
Johanna Rolland n’a pas encore dévoilé son projet culturel pour le prochain mandat. On sait que la culture restera une priorité. Une des priorités budgétaires en tout cas, c’est sûr. Nantes, c’est quand même 100 millions d’euros de budget par an. Dans le mandat passé, nous nous étions engagé à maintenir ce budget culturel. Il s’est avéré qu’il a légèrement augmenté au cours du mandat. C’est un engagement qui sera reconduit. Et nous serons, très largement, dans la poursuite de cette infusion culturelle au plus près de chaque nantais. Avec toujours cette ligne de force : la création et la diffusion sont libres, il n’y a pas de censure. Ce sont les créateurs culturelles qui décident leur initiatives. Ça, pour nous c’est très important. Nous, nous nous positionnons en facilitateur des projets des artistes, des associations. Mais aussi en travaillant sur les pratiques culturelles, entre autres dans les quartiers populaires. Essayer de maintenir un écosystème qui reste audacieux et créatif. Il est important pour nous aussi que les artistes ne soient pas simplement un gage d’une créativité culturelle, mais aussi, de créativité pour la métropole elle-même. On considère aussi le fait qu’un ingénieur, qu’une personne en insertion puisse côtoyer un artiste. La collaboration nécessaire entre la ville centre et les territoires qui l’entourent sera aussi un des sujets important de discussion dans le futur mandat. Ce sont ces lignes de forces qui seront très largement reprises par Johanna Rolland.
Il y a donc de nombreuses propositions. Mais il reste un problème tout de même, beaucoup de personnes n’ont pas accès à la culture par manque de moyens, certaines se désintéressent.
Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus d’acteurs culturels qui considèrent que nous sommes dans une économie de l’offre, c’est-à-dire : “je fais un spectacle, il trouvera son public et point”. Chacun se sent concerné par qui vient et pourquoi on vient le voir. C’est aujourd’hui, une scène artistique, qui très largement, est elle-même en ébullition, en pleine recherche de ce point de vue. Il faut donc trouver les bons porteurs de projets, pour les aider à diffuser leurs créativités, leurs spectacles, … Mais, il existe tout de même un monde socioculturel un peu méfiant, sûrement parce qu’il a connu un monde culturel moins ouvert. Et je crois que c’est important de bien travailler l’articulation entre les propositions culturelles et ce monde socioculturel. Pour le mandat futur, on peut imaginer que la ville cherchera à travailler quartier par quartier, à définir des stratégies pour que chaque quartier se dote d’un diagnostic partagé sur l’actualité culturelle de ce quartier et ce que l’on souhaite y développer de façon collégiale. C’est-à-dire en regardant les forces artistiques, socioculturels, mais aussi en intégrant les habitants à cette démarche. C’est le moyen, selon moi, d’attirer de nombreuses personnes à s’intéresser à la culture.
Durant ces municipales, on parle beaucoup de sécurité, de mobilité et d’écologie, mais pas beaucoup de culture. On dirait qu’elle est un peu mise de côté.
C’est souvent le cas pendant les municipales. Et c’est encore plus souvent le cas à Nantes parce qu’on est tellement habitué à ce que la culture soit une politique qui fasse partie de l’ADN du territoire, qu’on finit par oublier d’en discuter et d’en débattre. Mais pour moi, ce ne sont pas des signes de risques de retrait sur les politiques culturelles. Même si, on peut le remarquer, dans les mandats qui se sont passés dans les grandes villes de France, il y a seulement un tiers qui ont maintenu leurs ambitions culturelles, dont Nantes. Le risque existe donc bel et bien. Aujourd’hui, je pense que le territoire ne l’accepterait pas mais il faut toujours être méfiant sur cette question, parce que la culture c’est aussi un investissement invisible et de long-terme sur l’émancipation et la liberté du citoyen. Donc une municipalité sous pression pourrait être amené à prendre des arbitrages qui oublient de regarder à la bonne distance. Quand on est un élu municipal, on fait la ville pour les cent ans à venir.
Comments