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ENQUÊTE - Le CHU de l'Île de Nantes, les yeux plus gros que le ventre.

  • Colin GAZEAU
  • 7 janv. 2020
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 janv. 2020

Dessin prototype du futur CHU de l’île de Nantes, SAMOA


De 2020 à 2026, se construira le futur CHU de l’île de Nantes rassemblant les deux hôpitaux de l’Hôtel-Dieu et de Laennec. La communication de la part du CHU et de Nantes Métropole signale ce projet comme l’un des plus importants et ambitieux de France. Cependant, l’opposition au futur hôpital laisse penser le contraire. Entre des problèmes de localisation, de dangerosité et de coûts, les deux camps n’arrivent pas se mettre en accord sur le sujet.



Un futur hôpital à la pointe de la technologie au sein de l’île de Nantes. Voilà le projet proposé depuis plus de neuf ans par l’Etat, le CHU et Nantes Métropole. Comment le créer ? En rassemblant le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de l’Hôtel-Dieu et celui de Nantes-Nord Laennec (à Saint-Herblain). “Le CHU de Nantes a besoin de moderniser certains de ses équipements, et de renforcer son efficacité en disposant d’installations plus fonctionnelles, et plus attractives pour ses patients” énonçait la communication du CHU en 2015 dans sa conférence de presse. Le projet qui doit prendre la place du Marché d'Intérêt National (MiN) de Nantes, a été voté et choisi en 2010 sous la candidature de Jean-Marc Ayrault. Les travaux pour la construction et le déménagement doivent s’effectuer de 2020 à 2026. D’un montant de 953 millions d’euros (Toutes Dépenses Confondues), ce CHU se veut être l’un des plus innovant et performant de France.

Cependant, comme tout projet, il existe des opposants, des détracteurs au futur CHU de l’île de Nantes. Médecins, praticiens, politiques, membres d’associations, … ils pointent du doigt les différents problèmes liés à la création de cet hôpital.



UN HÔPITAL TROP CENTRÉ


Jean-Luc Landas, médecin anesthésiste à la retraite, en service au moment du choix du lieu pour la création du nouvel hôpital, explique qu’il faudrait d’abord se concentrer sur les problèmes existants déjà au niveau des CHU existants avant de réfléchir à les déménager. “Rien qu’aujourd’hui, entre 250 et 300 interventions chirurgicales sur 1500, sont reportés, c’est énorme, il faut d’abord régler les problèmes au sein du CHU” s’inquiète le médecin retraité.

Le syndicat CGT du CHU de l’Hôtel-Dieu tire la sonnette d’alarme aussi. “Il n’y a déjà plus de place pour les maternités de niveau 3, qui sont renvoyés à la clinique de Brétéché. Le CHU rembourse ces renvois pour le moment, mais pour combien de temps ?” se questionne un des membres du syndicat opposant au projet. Les opposants se questionnent donc sur l’importance de créer un nouveau site, alors qu’au sein des deux hôpitaux, le personnel peine déjà à soigner les malades.

La CGT et Jean-Luc Landas parlent même d’une omerta. La CGT parle d’un “système hospitalier ambigu” où le directeur général (Philippe Sudreau) et le président de la Commission Médicale d'Etablissement, pro-CHU de l’île de Nantes, n’offrent pas la parole aux médecins. Cette “direction bicéphale” ne permet pas la contradiction au sein de l’établissement hospitalier. “Il n’y a d’ailleurs eu aucun débat ouvert, ni au sein de l’hôpital, ni dans la ville”, ajoute Jean-Luc Landas. “La direction ne cherche pas à en parler, c’est un choix intra-muros”. Philippe Sudreau sur le plateau de TéléNantes, le 28 juin 2019, semblait dire le contraire, en expliquant : “on est dans le dialogue. Pas dans une opposition stérile en se renvoyant des arguments à la face. On échange avec eux, on les a vu à plusieurs reprises”.


Or certains opposants se questionnent continuellement. Comment vont-ils faire pour accueillir les patients au sein de l’hôpital ? “Le site proposé par Nantes Métropole est simplement de 10,1 hectares, alors que le CHU de l’Hôtel-Dieu et celui de Laennec cumulent à eux deux 67 hectares (a titre d’exemple, le CHU de Lille fait 350 hectares). Comment sera-t-il possible d’étendre l’hôpital ?” précise Jean-Claude Guyard, président du GAELA (Groupement d'Etudes et d'Analyses de Loire Atlantique). “La Ville de Nantes ne souhaite pas créer des bâtiments hauts car il faut pour cela, une équipe de sécurité coûteuse, les possibilités d’agrandissement sont peu nombreuses” ajoute l’opposant au projet. “Un hôpital c’est un lieu très évolutif, on ne connaît pas les besoins dans 15 ou 25 ans. Ce sera impossible de rajouter de nouvelles structures sur l’île de Nantes”, rajoute Jean-Luc Landas. Cependant le pôle communication du CHU explique que “des exigences de modularité du bâti ont été intégrées au cahier des charges réalisé à l’attention des architectes” afin de permettre l’ajout de nouveaux pôles, tout en affirmant que certains bâtiments seront réadaptables en fonction des besoins nécessaires

Cependant, inséré dans une nasse, le CHU sera vite bloqué avance les différents opposants. Dans un premier temps, il y aura peu de place pour circuler, les ambulances seront vite coincées. Les différents corps de métier de la santé qui viennent travailler devront jouer avec les bouchons et les ralentissements. “Beaucoup de membres du personnel hospitalier ont déjà du mal à accéder au CHU de l’Hôtel-Dieu. Comment vont-ils faire pour aller travailler sur une île où les bouchons sont plus présents ?” s’inquiète Jean-Claude Guyard. Il ajoute : “Déjà que l’accès des produits au MiN était compliqué, qu’en sera-t-il des patients et du personnel ?”. Le syndicat du CHU appuie les arguments du président de GAELA en précisant que de nombreux praticiens, infirmiers et autres, vivent en dehors du centre-ville nantais et auront donc sûrement plus de mal à accéder au nouveau CHU de l’île nantaise. Cette situation risque d’ajouter du stress et de la fatigue à un corps de métier déjà en difficulté. Mais c’est surtout la question des patients qui inquiète le plus les opposants. De quelle manière pourront-ils venir rapidement au CHU ? Axel de Kersaint-Gilly, professeur et ancien chef de service de neuroradiologie diagnostique et interventionnelle au CHU de Nantes, expert en AVC, explique par exemple que la centralité du nouvel hôpital pourrait mettre en danger des personnes atteintes de maladie cardiovasculaire, car c’est un lieu dur à atteindre.

Le CHU, la SAMOA et Nantes Métropole se sont interrogé sur ce sujet et ont ordonné la création de deux lignes de tramways supplémentaires pour fluidifier le trafic au sein de l’île. Une ligne ferait l’axe nord-sud tandis qu’une autre rejoindrait le boulevard des Martyrs d’ouest en est. Pour éviter tout problème pour les patients, les ambulanciers seraient autorisés à emprunter ces axes. Pour désengorger les routes, le projet implique aussi l’agrandissement des voies et des ponts (comme celui d’Anne de Bretagne), renforçant les accès piétons et cyclistes. Sur l’île, un grand axe, appelé “Parkway”, allant du pont des Trois Continents au pont Anne de Bretagne sera créé pour obtenir plus de place. Mais si les patients, le personnel ou même des personnes souhaitaient tout de même venir en voiture à l’hôpital, de nombreuses places de parking seront construites : “il y aura 1200 places de parking en sous-sol, plus des centaines de places à toute proximité, on aura plus de mille places supplémentaires par rapport à ce qui est existant aujourd’hui à l’Hôtel-Dieu et l’hôpital Nord”, explique Philippe Sudreau sur le plateau de TéléNantes.

Mais, selon l’association GAELA, seulement 22 % des patients sont originaires de Nantes et de sa métropole. Le fait que l’hôpital soit encore plus enfoncé dans la métropole et installé dans un lieu propice aux ralentissements pourra provoquer un rejet de la part de nombreux patients. Certains ne pouvant pas se déplacer en transports en commun, à pied ou à vélo, car trop éloigné ou trop malades, la patientèle aura donc tendance à choisir d’autres hôpitaux, des privés, “comme la polyclinique de Saint-Herblain” précise Jean-Luc Landas.



UNE ZONE DANGEREUSE


En plus d’être une nasse, beaucoup avancent le souci du lieu de construction. Transplanter un hôpital sur les bords de la Loire engendrerait beaucoup de dégât pour l’environnement mais aussi pour l’hôpital en lui-même. Nombreux sont les opposants qui annoncent le danger d’une potentielle inondation du futur CHU. Historiquement, il y a eu six grosses inondations à Nantes. Et même si la dernière date de 1936 : “il faut prendre en compte tous les risques. Un hôpital, ça contient beaucoup de choses dangereuses. Par exemple, au sein du CHU, nous faisons des traitements à l’iode 51. Les cuves de confinement sont forcément en bas du bâtiment et sont fortement radioactives. Et cela sans compter les nombreuses molécules dangereuses conservées dans l’hôpital. Qu’est-ce que nous ferons en cas d’inondation ?” s’alarme un membre de la CGT. Un autre syndiqué complète : “il faut aussi tenir compte de l’environnement et éviter d’encombrer et de polluer inutilement les bords de Loire”.

L’ancien architecte responsable du projet Île de Nantes, dont le contrat avec la SAMOA s’est terminé en 2009, émettait quelques doutes quant à la création d’un hôpital sur l’île de Nantes. Dans un article de Ouest-France de 2009, il annonçait : “On ne peut pas simplement découper une “escalope” dans l'île de Nantes pour y poser un hôpital. (...) J‘ai dit que je ne dessinerais pas un hôpital imposé. Le nouveau CHU, c'est tout un morceau de ville. Il ne s'agit pas de poser une grosse machine sur un terrain, mais d'imaginer la relation entre l'hôpital et la ville”.

Nantes Métropole et le CHU insiste sur l'esthétique du lieu. Les bords de Loire permettent au futur hôpital d’être un endroit accueillant, avec une lumière naturelle. Tout cela offrant un “cadre de travail agréable”. Le point important selon eux, réside aussi dans le fait que le bâtiment sera “intelligent” et entièrement numérique, régulant volume sonore et température.

Mais les associations, le syndicat CGT et les médecins contre le projet souligne tous le fait que cette zone de l’île est alluvionnaire. C’est-à-dire que le sol sous le fleuve est en constante mouvance. La création et le plantage de nombreux pieux seront nécessaires pour une bonne installation du CHU sur l’île de Nantes afin d’éviter que celui-ci ne s’enfonce dans la Loire.



DES COÛTS FINANCIERS ÉNORMES


Et le plantage de 2200 pieux à plus de 60 mètres de profondeur est un coût financier qui se sent dans la note finale de la construction du nouveau CHU avec d’autres rajouts, aménagements supplémentaires. Originellement de 300 millions d’euros en 2010, le budget est passé à quasiment un milliard au bout de quelques années. Les constructeurs et architectes se sont rendus compte de l’ampleur du projet et n’ont pas hésité à faire augmenter le budget drastiquement et rapidement. Car plusieurs facteurs sont à prendre en compte, tel que le fait que les avions passeront au-dessus (entre 300 et 400 mètres) du nouveau CHU. Ce qui implique l’achat et la construction de vitres en triple-vitrage (fenêtre 25 à 30% plus cher) afin d’atténuer le bruit. La SAMOA explique que les engins passent déjà au dessus de l’actuel hôpital, mais qu’il faudra cependant revoir les trajectoires. Par ailleurs, l’agrandissement, à l’aéroport, de la piste à de 400 mètres vers le sud permettra aux avions de survoler la ville plus en hauteur, diminuant ainsi les bruits gênants pour la ville de Nantes.

Autre problème avancé : le parking souterrain. Il nécessite d’être cuvelé, c’est-à-dire que les parois du parking seront solidifiées afin d’empêcher son inondation, de subir la pression de la Loire. Jean-Claude Guyard annonce cependant : “si le parking venait à être inondé, il n’y aurait aucun moyen de le vider …”.

Tous ces coûts sont particulièrement couverts par le CHU, cependant, il faut aussi prendre en compte les achats externes pour améliorer les alentours du CHU : les rachats par la métropole des lignes SNCF pour construire le parc et installer les lignes de tramway, le déplacement du MiN qui a été compensé par la Ville de Nantes, … Tous ces coûts alourdissent nettement la facture de ce projet appelé par certains “pharaonique”. Par ailleurs, les opposants sont clairs et nets, le budget dépassera largement le milliard pour atteindre un budget bien différent. C’est la CGT qui l’annonce, le budget sera d’au moins 1,5 milliard, car revu à la hausse. “Un budget qui ira dans le BTP mais pas dans le soin”, selon eux.


Pour palier à ces coûts, l’idée de Nantes Métropole et du CHU est de diminuer le nombre de lits au sein du futur hôpital. Ils passeraient de 1733 lits (pour Hôtel-Dieu et Laennec) à 1384 sur le site même de l’île de Nantes. Le CHU et Nantes Métropole expliquent deux raisons à cela : toutes les chambres seront désormais 100% individuelles et le service se fera désormais majoritairement en ambulatoire (le patient arrive et repart avant la fin de la journée) à hauteur de 64%. Jean-Claude Guyard est cependant dubitatif quant à cette méthode. Il explique : “aux Etats-Unis ou en Allemagne, l’ambulatoire est très commun mais il y a un suivi du patient lors de sa sortie d’hôpital. Ici, il n’y en a pas eu référence”. De plus pour de nombreux opposants comme la CGT, qui dit diminution des lits, dit diminution des effectifs. En plus de cette diminution, le syndicat s’inquiète du niveau de travail. Pour eux il y aura “une crise des effectifs avec une montée en charge des activités pour compenser le coût du projet”. Ils ont peur qu’une logique et des objectifs de rendement soient mis en place, surchargeant les praticiens et les soignants, créant un climat de tension au travail. Par ailleurs, la CGT s’inquiète aussi du fait de la robotisation du CHU, risquant de ne pas améliorer ce déficit d’effectifs. Les salaires sont aussi en danger selon la CGT : “les rémunérations baisseront et engendreront un déficit structurel”. Jean-Claude Guyard ajoute d’ailleurs : “afin de compenser l’augmentation du prix de l’hôpital et les 225 millions proposés par l’Etat, nous avons remarqué la diminution des lits et des effectifs dans certains EHPAD, dont certains sont obligés de fermer”. Mais ce qui effraie le plus les opposants au CHU de l’île de Nantes dans le financement, c’est le surendettement de celui-ci. La CGT redoute un endettement du CHU de plus de 650 millions d’euros, qu’il sera quasiment impossible de rembourser.



DES SOLUTIONS ALTERNATIVES ?


Certains opposants proposent d’autres alternatives dont Nantes Métropole et le CHU ne souhaitent pas tenir compte. L’association de Jean-Claude Guyard, GAELA, propose de transplanter le CHU de l’Hôtel-Dieu à l’hôpital Nord-Laennec car il y a plus de place. En effet, le lieu propose 72 hectares à lui tout seul. De plus, le CHU resterait ainsi proche de l’Institut de Cancérologie de l’Ouest (ICO). Mais c’est surtout le coût qui serait considérablement réduit selon eux, de 400 millions d’euros. Et afin de mieux permettre l’arrivée et la sortie des patients, l’association GAELA propose d’allonger les lignes de tramway 1 et 3 pour arriver directement au CHU Nord-Laennec.

La CGT explique que l’Etat, Nantes Métropole et le CHU vont “dans la mauvaise direction et devraient se concentrer sur la baisse de la pénibilité au sein du monde professionnel médical et surtout en renforçant les métiers. L’ambulatoire et le corps médical sont en danger”.

En tout cas, Nantes Métropole et la direction du CHU sont sans équivoque, ce projet représente le futur de la santé à Nantes. Le 12 mars 2018, Laetitia Micaelli-Flender, directrice générale adjointe du CHU, en charge du projet Nouvel hôpital, avait défendu, face aux opposants, “une opportunité unique”. C’est le moment selon la direction du CHU, de regrouper la médecine des quatre “p” : préventive, prédictive, personnalisée, participative.

 
 
 

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©2020 par Colin GAZEAU

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